Un vieil enseignant plus maniéré qu’un majordome anglais, et gardien d’un savoir si complexe que peu d’élèves souhaitent l’étudier, voilà probablement la façon dont beaucoup perçoivent le professeur Nightingal. Depuis toutes ses années qu’il enseigne les runes à l’école de magie d’Australie, Lester, son accent et ses petites habitudes bien réglées, font presque parties du décor. Difficile de se dire que cet homme calme, au sourire si serein, qui prend chaque jour son thé à heures fixes, à jamais pu avoir une vie un peu plus aventureuse. Cependant rares sont ceux qui peuvent se vanter d’en savoir un peu plus sur son passé, le professeur n’est pas du genre à se confier sur ces choses-là. Il aurait pourtant de quoi raconter, s’il se décidait. Bien plus qu’on ne l’imagine. Mais comme toute histoire, mieux vaut commencer celle-ci par le début.

C’est un beau matin d’été, le 5 aout 1955 pour être plus précis, que son essence choisit de rappeler Lester Nightingal pour ce qui allait être son neuvième cycle. Fort de l’expérience acquise au cours de ses nombreuses vies antérieures, le mage était déjà âgé d’une dizaine d’années lorsqu’il réapparu dans l’un des sanctuaires de la vieille Angleterre. Quelque peu égaré en premier lieu, il était néanmoins heureux d’avoir devant lui un nouveau cycle, qu’il pressentait empli de belles découvertes. Le jeune garçon s’employa avant toute chose à parcourir les vieux cahiers poussiéreux dans lesquels l’homme avide de savoir qu’il était avait consigné événements et connaissances importantes de ses précédents cycles. Une fois sa curiosité satisfaite et sa mémoire raffraichie, le mage était alors fin prêt pour affronter ce monde nouveau qui s’offrait à lui.

Lester eût la chance d’être pris en charge par un couple de sorciers fortunés, qui craignaient tout deux bien trop d’enfanter un simple mortel pour avoir un enfant par la voie naturelle. Malheureusement, sa mère adoptive décéda à peine quelques mois plus tard, d’une maladie que même la magie n’avait pu guérir. Lester grandit donc seul avec son « père », dans un riche manoir situé au nord de l’Angleterre, non loin de la ville de Sheffield. Si le mage avait alors déjà beaucoup trop d’expérience pour être réellement éduqué par son père adoptif, il hérita tout de même de son excessive politesse, ainsi que de quelques-unes de ses petites manières distinguées et aristocratiques. Mais il n’était pas pour autant en accord avec lui sur tout, loin de là. Son père, très conservateurs, voyait souvent d’un très mauvais œil le mode de vie des mortels et leur technologie, contrairement à Lester qui y voyait, comme en toute chose, une source nouvelle de connaissances diverses et variées.

C’est en partie pour cela qu’il insista pour aller à l’école, comme n’importe lequel des enfants mortels. L’intégration fut quelques peu laborieuse pour notre mage qui, isolé dans son manoir, n’avait pas vraiment eu l’occasion d’étudier plus avant les us et coutumes des mortels du XXème siècle. Il en résultat quelques incidents assez cocasses - dont Lester s’amuse encore aujourd’hui – mais l’expérience fut néanmoins enrichissante. Il continua de fréquenter cet établissement jusqu’à ce qu’il ait atteint l’âge requis pour pouvoir prétendre à entrer à l’Abbey de Sheffield, école où il avait déjà étudié lors de précédents cycles.

De ces quelques années passées à étudier – ou plutôt réétudier- la magie, Lester garda un excellent souvenir. La connaissance de soi, principe prôné par l’Abbey, correspondait parfaitement à notre mage, qui, bien que ses souvenirs des anciens cycles soient déjà relativement clairs, souhaitait essayer de se rappeler de tout dans les moindres détails. Il pratiqua donc assidument la divination, bien que sa matière fétiche reste les runes. Cet ancien alphabet à la signification aujourd’hui oubliée avait en effet toujours exercée une étrange fascination sur le mage, en ce cycle comme dans les précédents. Les connaissances accumulées à ce sujet, ainsi que son assiduité au travail, lui permirent de réaliser une scolarité brillante au sein de l’Abbey. Cette réussite aurait probablement pu permettre au mage de prétendre à une fonction élevée du monde magique, mais c’est vers un domaine bien différent qu’il se tourna en premier lieu.

Hormis les runes et leurs étranges significations, Lester nourrissait également une grande passion pour tout ce qui touchait à l’art. Il faisait partie de cette catégorie de personne capable de rester des heures en admiration devant un tableau de maître, ou de s’extasier devant une pierre taillée du paléolithique. C’est donc tout naturellement qu’il rejoignit les bancs de la faculté, étudiant l’histoire de l’art et l’archéologie. Il n’en sorti que huit ans plus tard, un doctorat en poche et la tête déjà pleine de projets.

Les années qui suivirent furent parmi les plus mouvementées de la vie de notre mage, mais également celles dont il garde le meilleur souvenir. Fraichement diplômé, il fut engagé dans une équipe de fouilles archéologiques à sa sortie de la faculté. Cet emploi lui permit de voyager aux quatre coins du globe, sur les traces de civilisations aujourd’hui disparues. Enfin, cela, c’était son objectif officiel, qu’il réservait à ses collègues mortels, mais ses motivations véritables étaient ailleurs. Non, la véritable raison pour laquelle Lester semblait s’être détourné du monde la magie, c’était justement d’en apprendre plus à son sujet, et sur les runes en particulier. L’archéologue nourrissait en effet un rêve secret : découvrir l’origine de cet alphabet si mystérieux pour, peut-être un jour, en retrouver la signification.

Et quoi de mieux pour cela que d’explorer sites et vestiges anciens ? Après tout, aussi loin qu’on s’en souvienne, les sorciers avaient toujours été présents, de tout temps et partout. Et c’est ainsi que le mage entreprit un long périple sur les traces des sorciers les plus anciens, périple qui le mena de découvertes en aventures, un peu partout dans le monde. De cités aztèques aux tombeaux égyptiens, en passant par les pyramides de Xian et leurs pièges si réputés. Nuls doutes que Lester aurait beaucoup à raconter sur cette période, bien qu’il ne se confie que très rarement sur le sujet, Mais si vous parveniez à l’y décider, vous auriez sans doute droit à quelques anecdotes croustillantes. En plus de cela, Lester fit également quelques découvertes intéressantes, bien qu’il demeure encore loin de son objectif initial.

Malheureusement, toutes les bonnes choses ont une fin et cette heureuse période ne fit pas exception à la règle. C’est une bien triste nouvelle qui força l’archéologue à interrompre ses recherches pour rentrer en Angleterre : celle du décès de son père adoptif, de causes naturelles. Lester fut très touché par cette perte soudaine d’un homme qu’il appréciait énormément, malgré leurs fréquents désaccords, mais qu’elle ne fut pas sa surprise en découvrant qu’il lui avait légué manoir et fortune ! Si beaucoup aurait pu apprécier cette opulence soudaine, Lester n’était pas de ceux-là. Sous ces airs parfois maniérés, il n’en demeurait pas moins quelqu’un de simple, qui n’aspirait pas vraiment à la richesse et à ses « contraintes. » Néanmoins, soucieux de respecter les dernières volontés de son père adoptif, il s’installa définitivement au manoir, interrompant ainsi son travail sur le terrain.

Devenu riche et désœuvré, Lester profita de sa nouvelle fortune pour étoffer la collection d’art déjà conséquente qu’il tenait de ses voyages. Fréquentant assidument ventes aux enchères et autres brocantes, il n’y eut bientôt plus une pièce du manoir dont les murs ne soient pas décorés d’un tableau, ou ne continent quelque objet insolite d’un autre temps. Mais malgré toute cette activité, notre mage s’ennuyait, à travailler seul dans son manoir. A quoi bon avoir accumulé autant de connaissance au cours des années s’il n’avait personne avec qui les partager ? C’est ce constat qui poussa Lester à emprunter la voie de l’enseignement.

Sa réputation de spécialiste de runes l’ayant précédé, le mage n’eut aucun mal à se faire embaucher dans les écoles les plus prestigieuses. La première ne fut autre que celle qu’il avait lui-même fréquenté, Sheffield. Il y enseigna pendant plusieurs années, avant de donner sa démission suite à des fréquents désaccords avec la direction. Désaccords qui concernaient notamment le rejet de l’école des pratiques mortelles, un sujet sensible pour Lester, et qui remuait en lui de lointains souvenirs de cycles passés.

La seconde fut l’école de Strasbourg, où les choses ne se déroulèrent guère mieux. Le professeur appréciait son travail auprès des élèves, mais la tendance très prononcée de cette école à se jouer de l’éthique ne convenait guère à un homme bienveillant comme Lester. Notre mage finit enfin par trouver son bonheur outre-Atlantique, entre les murs de briques rouges de Salem. Il appréciait tout particulièrement cette école, et ne l’aurait probablement jamais quitté si une découverte singulière n’était pas venue bouleverser ses croyances.

Cette découverte fut celle de deux étudiants de l’école de magie d’Australie, les Whistler, qui exhumèrent par le plus grand des hasards ce qui s’avéra être un ancien sanctuaire, dont l’existence était, jusqu’à ce jour, totalement inconnue. Une découverte sans précédents, qui ne manqua pas d’enflammer la curiosité scientifique du professeur Nightingal. Appelé sur le terrain par le directeur de l’EMA afin d’étudier à loisir ce lieu singulier, Lester profita d’une place libérée pour intégrer le corps enseignant de l’école d’Australie.

Cela fait maintenant une dizaine d’année que le professeur Nightingal enseigne les runes à l’EMA, et personne ne s’étonne plus de croiser au détour d’un couloir cet homme à l’air d’un autre âge. Pour combien de temps encore, lui-même ne le sait pas. Mais une chose est sûre : il apprécie son rôle de professeur, qu’il s’efforce toujours d’exercer avec calme et bienveillance, ainsi que cette occasion unique de pouvoir un jour percer les secrets de l’ancien sanctuaire.