Une silhouette ; une jeune femme de petite taille adossée contre un arbre. De longs cheveux bruns-rouges tombent en cascade le long de son dos, contrastant avec son teint pâle. Son regard fixe le sentier de graviers qui se tient devant elle, pendant que ses doigts font tournés doucement des cailloux au creux de sa main.
Avec un léger mouvement de pouce, elle les fait sauter un par un sur le chemin.
Un caillou, deux cailloux, trois cailloux, Hésitation. Cinq cailloux.

- Bougre d’Andouille !
Elle était là, les pieds nus sous la pluie qui ne cessait de tomber toujours de plus bel. Elle avait cessé de courir dans la rue pour reprendre son souffle. Puis doucement elle reprenait sa cadence. Il fallait qu’elle se dépêche. Elle se retournait de temps en temps pour voir si sa mère était toujours là. Mais non. Et puis finalement, c’était mieux. Elle tenait fermement au creux de son bras la petite enveloppe que lui avait remise sa génitrice.
Bougre d’Andouille ! Bougre d’Andouille ! Elle l’entendait encore.
La pluie battante lui glaçait le sang et crispait ses muscles.
Puis elle arriva. C’était un grand bâtiment blanc, s’étendant sur toute largeur du boulevard. Une infirmière lui ouvrit la porte. Et enfin, devant cette grande et belle dame, la petite fille trempait jusqu’aux os, tendait l’enveloppe et annonçait : « Ma maman ne me veut plus ».

C’est toujours là, dans un coin de sa mémoire. Elle sait. Elle sait ce qu’il ne va pas chez elle. Et ça restera, ça continuera à la détruire un peu plus. C’est idiot comme s’en est sot.
Elle ne quitte plus des yeux le petit chemin en face d’elle, et elle reprend son petit jeu.
Un caillou, deux …

Depuis, elle avait vécue à leurs côtés. Et elle faisait partie de leur famille, même si quelque part, elle était restée une patiente à part entière. L’hôpital était simplement son refuge, son habitat, son étendard. Les premiers symptômes de la maladie étaient apparus très tôt, alors qu’elle était bambine. Cela avait nourris des dommages de plus en plus importants au sein de son entourage et à la fin, elle avait bien comprit que ce n’était plus possible. Finalement, après la découverte de sa pathologie, les éducateurs et spécialistes avaient décidé d’un commun accord de faire interné la petite fille au sein d’une clinique spécialisée, au risque de voir apparaitre de nouvelles crises neurologiques. Lottie avait besoin d’un environnement sein, et de repères également. C’était une chose que personne n’aurait pu négliger. Depuis l’accident, sa génitrice n’était plus jamais venue la visiter à l’hôpital ; laissant la fillette à la charge et à l’entière responsabilité des médecins de garde.
Elle avait été un poids pour sa mère. Depuis le début.
Mais ce n’était pas grave, elle l’avait admis sa situation et elle ne s’était pas plein, parce qu’entre les murs de l’hospice, on l’avait accueilli à bras ouverts, et enfin elle avait mené une enfance efflorescente.
Jusqu’à ce qu’elle connaisse sa seconde crise, en décembre 2010.

Il la regardait comme jamais il ne l’avait regardé, il la fixait de son regard bleu azur. Elle voyait déjà l’amertume et la souffrance au bord de ses yeux. L’homme refermait la porte derrière lui. Et elle. Son cœur se mettait à battre d’avantage encore. C’était au dessus de ses moyens. Tout cela. C’était au-delà de ce qu’elle imaginait.
Elle était allongée dans un lit, plongée dans des draps blancs. Comme le reste. Une sonde avait été implantée à l’arrière de son crâne. Et en y repensant bien, ce n’était pas la première fois.
- Docteur ?
L’homme s’était assis sur une chaise environnante. Elle, elle avait compris ; et elle pleurait. Lui, c’était pris d’affection pour la jeune patiente ; il la prenait fermement dans ses bras.
- Tu l’as fait.
Tu ne te souvenais plus. Tu ne savais plus qui tu étais.

Lottie est atteinte de troubles de la mémoire.
Ca lui prend de temps en temps, elle oublie certaines bases, quotidiennement, mais sans grande importance finalement.
Ce qui est dur, ce qui fait mal, c’est quand elle oublie tout. Néant. Pendant, une dizaine de jours peut être. Et puis ça revient, et là, ça vous assomme, ça vous ronge de l’intérieur, et enfin ça vous plonge petit à petit dans un gouffre sans fond.
Mais ce qu’elle ne savait pas, c’était que quelque chose de plus bouleversant encore allait troubler son existence.

Ses muscles se redirent. Son imagination n’avait jamais atteint un tel point. Et sa gêne ne fut pas sans reste. L’homme se tenait à seulement quelques mètres de la jeune fille. Mais un vent considérable les empêchait de communiquer. Lottie demeurait droite comme un manche à balai, seule au milieu de l’immensité du parc. Et plus elle se rendait compte de l’ampleur du fait dont elle fut témoin, plus ses yeux fixés sur l’homme se dilataient. Celui-ci, visiblement amusé, lui adressa un regard insistant. Elle aurait voulu oublié ce qu’elle venait de voir, ne pas porter d’attention à l’inconnu et à ses regards explicites. Car tout cela n’était qu’un rêve, le fruit d’une imagination un peu trop vraisemblable. Mais enfin, elle ne pouvait pas oublier. Ironie du sort. Elle le voulait, elle ne le pouvait pas. Paradoxalement, sa maladie lui enlevait les souvenirs dont elle avait le plus besoin. Ceux auxquels elle tenait le plus. L’inconnu approchait la cinquantaine, des petites rides parsemaient son visage. Son regard était noir, perçant, soutenu. Il lui sembla qu’il voulut lui dire quelque chose. Puis, il déposa un doigt sur ces lèvres en signe de mutisme. Elle resta là, ébahie, et doucement le ballon glissait de ses mains. Les bras le long du corps, elle le laissa tomber dans l’herbe.

Ce fut la première fois qu’elle voyait Milward s’adonner à la téléportassions d’objets. Et ce fut le jour le plus important de toute sa vie.
Depuis, l’homme venait la visiter tous les jours. Elle n’avait rien expliqué sur elle, il savait déjà tout. Il était posé, silencieux ; mais durant deux longs mois, elle apprit tout ce qu’elle avait à savoir. Le pourquoi du comment, sa raison d’être, ce qu’elle était réellement ; un sorcier parmi tant d’autres. Et pourtant, pas une fois elle n’avait douté de la véracité des ces dires. Parce qu’enfin, il était la preuve même que tous ces racontars étaient authentiques. Comment pouvais t’il en être autrement, alors qu’elle était l’unique spectateur de ses ensorcellements chroniques ? Elle l’admirait pour cela. Mais aussi, parce qu’il avait donné un peu de sens à sa piètre existence. Elle qui était inguérissable et prédestinée à demeurer confinée pour toujours. L’hôpital l’avait gardé en vie. Milward la faisait vivre. Là était toute la différence.
Un soir, Lottie appris qu’il était un Mage ; qu’avant d’être celui qu’il est aujourd’hui, il avait vécu plus de cinq existences consécutives. Des cycles. Et il était envisageable qu’elle en ait déjà deux ou trois à son actif. Peut être avait elle déjà eut souvenir de ce qu’elle était autrefois ? Elle avait émis quelques réserves. Cette déclaration l’a rendait circonspect. Ses syndromes l’empêchaient de ce souvenir de certaines choses, certains moments de sa vie. Parfois, elle en venait à oublier son nom. Elle tentait déjà, tant bien que mal, de garder en mémoire son identité actuelle ; comment pouvait-elle avoir souvenir des anciennes, si elles eurent été tangibles ?
Mais enfin Milward estimait que l’un n’empêchait pas l’autre. Selon lui, les annales de ses vies antérieures n’avaient rien, -strictement - rien en commun avec sa propre vie. Ceux-ci appartenaient à un autre univers, une autre perspective, un autre temps. Puisque la réincarnation est une évolution de l'âme pouvant s'accomplir au travers de vies successives.

Un caillou, deux cailloux …

C’était une immense salle dont on ne percevait pas les limites ; seul le plafond permettait de s’orienter entre les interminables rangées d’étagères. Ses pas résonnèrent dans le corridor. Elle ne comprenait pas ce qu’elle faisait, elle connaissait à peine la raison de sa venue. Trouver son essence. C’était tout ce qu’avait expliqué Milward quand il était venu la chercher à l’hospice. Maintenant, il se contentait de suivre les pas de la jeune fille. Celle-ci débuta son errance le plus posément possible. Une sensation de bien-être indescriptible emplissait son âme.
Puis, ses enjambées se firent plus réfléchies, plus pressantes enfin. Au fur et à mesure qu’elle cheminait parmi les fioles et autres flacons difformes, son esprit semblait plus libre et plus résolu.
Enfin, Lottie s’arrêta subitement. Ses yeux se fixèrent sur une toute petite fiasque qui contenait un liquide argenté. Elle était décidée. Décidée à quoi ? Elle ne le savait pas. Seulement, elle devina le sourire serein du mage derrière elle. Il posa une main pressante sur son épaule. La jeune fille pris le flacon entre ses mains tremblantes. De lourdes larmes roulèrent le long de ses joues. Puis le liquide s’évapora. Et ce fut tout.

Depuis ce jour, elle se souvenait de certaines choses d’une vie passée. Milward avait raison. Mais au fond, elle l’avait sût à la minute ou l’homme lui avait tout enseigné.
Elle avait décidé de partir, loin, très loin. Quittant l’hôpital de Perth où la jeune fille avait vécu plus de dix ans de sa vie. Son mentor lui avait appris l’existence de nombreux établissements qui permettaient aux jeunes sorciers de se retrouver, se réinsérer dans le monde également, et puis étudier ce qu’un petit Harry Potter se devait de savoir.
Ils avaient décidé d’un commun accord de sa future destination : Sydney.
Découvrir d’autres meures, d’autres coutumes, d’autres horizons, peut-être que c’était cela qui lui plaisait tant.
L' école de magie était supposée être un centre médical plus adapter aux besoins de la jeune fille.
Lottie était partie pour offrir un peu de répit et de repos à son insistance.Cela devenait cruel pour eux, et peut être qu’un jour, Lottie aurait eu à dire « Ils ne me veulent plus ».

Le dernier gravier claque sur le sentier et la jeune fille cesse son petit jeu. Le vent souffle de plus en plus ; elle resserre son gilet contre elle.
Puis, elle soulève son regard vers l’aboutissement du chemin. Un imposant bâtiment de pierre se tient devant elle.
Elle ramasse sa besace et se met en route en direction de la bâtisse, cheminant sur le sentier, le cœur encore préoccupé.

« Il y a un temps pour combattre et un temps pour accepter que nous avons perdu, où seul un idiot continuerait la lutte.
La vérité est que j'ai toujours été une idiote. » B. F.