Le grand jour était enfin arrivé. Monsieur Edgard avait mis ses affaires en ordre, donné des instructions précises à son secrétaire et il avait fini par quitter ses appartements en fin d’après midi. Avant de se diriger vers le sanctuaire, il regarda une dernière fois l’école à laquelle il avait consacré toute cette vie, avec un gros pincement au cœur. Son grand départ avait été tenu aussi secret que possible, aucun élève ne devait être au courant. Seuls quelques professeurs étaient dans la confidence, des mages pour la plupart, qui assisteraient à la cérémonie. Edgard n’était pas un inconditionnel des adieux.

Arrivé au sanctuaire, il prit un dernier verre avec quelques amis et collègues et serra quelques poignées de main. Il détestait ça et ne souhaitait pas que ça s’éternise. Il avait hâte de partir, mais en même temps … ça lui faisait tellement mal. Edgard était un ancien, ce n’était pas la première fois qu’on l’arrachait à la vie pour rappeler quelqu’un d’autre. Mais on ne s’habituait jamais. A chaque fois, c’était pénible, long et douloureux. Pas la mort en elle-même, non, mais le fait de quitter la vie qu’on s’était construite et tous les amis qu’on s’était faits.

Vingt heures trente. Edgard était debout au milieu du cercle sacré qui venait tout juste de prendre forme autour de lui. Cela ressemblait à une sorte de tourbillon orangé qui dansait, se tortillait à terre. Il avait oublié à quel point c’était joli à regarder, c’était l’œuvre de la nature elle-même. Aucun sorcier n’était à l’origine de ce phénomène, ça arrivait, tout simplement. Le moment était donc bel et bien venu. Il lança un dernier regard à tous les mages présents, leur adressa un dernier sourire et ferma les yeux, pour la dernière fois et attendit. Il attendait cette sensation d’être aspiré par quelque chose de grand, de rejoindre la chaleur et de retrouver la paix. Il la connaissait bien, cette sensation. C’était quelque chose d’unique qu’on ne pouvait pas oublier. Dans son souvenir, la mort était bien plus rapide… Est-ce que quelque chose clochait ? Il n’osait pas rouvrir les yeux pour vérifier. Il savait que c’était le moment, il le sentait, il ne pouvait en être autrement.

Un souffle, le souffle, était là. Voilà cinq minutes que le cercle s’était mis en marche, et rien ne s’était encore passé. Il ne l’espérait plus, il craignait déjà qu’il y eut un problème. Mais c’était le moment, il allait enfin partir. Alors pourquoi ne ressentait-il rien ? Il se risqua à ouvrir un œil. Et il vit tous les mages et leur air consterné. A sa droite et à sa gauche se trouvaient Heather et Shane. Ce n’était pas possible, c’était inconcevable et ça défiait toutes les lois de la nature et tout ce que le monde de la magie avait connu jusqu’à présent. Les trois anciens étaient réunis ensemble dans la même pièce…


On passa une grande partie de la nuit à discuter de ce qu’il convenait de faire dans de telles circonstances. Garder le secret, mettre toute la communauté au courant ? On avait du mal à se mettre d’accord et chacun peinait à se faire entendre. Selon les archives sorties de leur placard, un tel événement s’était déjà produit. En 1500, à Londres, trois anciens ont été ramenés simultanément tandis que le quatrième s’endormait à nouveau. Cette nouvelle n’avait rien de très réjouissant puisque les faits précédaient un grand conflit avec la France où une multitude de sorciers perdirent la vie. Alors que fallait-il faire maintenant ?

Il fut finalement convenu qu’on ne garderait pas le secret, sans pour autant dévoiler ce qui s’était réellement passé dans le sanctuaire. Monsieur Edgard réintégrerait ses appartements à l’EMA jusqu’à temps que l’on trouve un moyen de le « rendormir », suivi par mademoiselle Whitechapel qui prendrait sa place de directeur de l’école. Quant à Shane, il présiderait le conseil. Il a été demandé à chaque mage présent cette nuit-là de ne pas ébruiter la nouvelle. « Nous trouverons une explication, et une solution au problème, je peux vous l’assurer. En attendant, tâchez d’avoir l’air naturel, il est important de ne pas inquiéter notre communauté inutilement. » avait conclu Thomas Lewis, le responsable des relations internationales.

Malheureusement, il ne fallut qu’une petite demi-journée pour que l’école toute entière cède à la panique, à la vue de Heather et Edgard déambulant dans les couloirs côte à côte. La nouvelle se répandit à la vitesse de l’éclair et personne n’était rassuré. Quelle que soit la raison de cet événement contre nature, ça ne présageait rien de bon…