J’attaquais une autre page de mon histoire ; plus belle, plus fascinante que les précédentes, je le savais.
Je n’imaginais rien, ne pensais rien - ce jour là. J’espérais seulement que l’établissement tiendrait ses promesses. Je n’avais rien perdu de précieux en quittant Perth. Un peu de calme, de tranquillité certainement.
Bien que, je ne sois jamais paisible où que je sois, quoi que je fasse. Cela je le savais pertinemment. J’avais beau décoller, mes ailes infirmes entravaient mon envole. La maladie me collait au sol en permanence. J’avais beau courir, elle me rattrapait à une vitesse surnaturelle. Elle allait toujours plus vite, était infiniment plus rapide que je ne l’étais.
Je commençais à avoir peur. Peur qu’elle n’arrive avant moi à L’EMA. Peut-être qu’elle m’attendait déjà, au fond. Il suffirait alors que je passe les portes pour qu’elle me saute dans les bras, j’en étais certaine. Mais pas pour m’enlacer d’exaltation. Elle m’étreindrait jusqu’à m’étrangler. Et alors j’expirerai - étouffée par mes symptômes.

Mais cela je ne le voulais pas. J’estimais qu’il suffisait d’y croire toujours plus chaque jour, pour vivre une vie ordinaire. Tant que nous avons de la volonté, il n’est pas si compliqué de faire un pas devant l’autre. Et mon chemin serait long tant que je gardais encore espoir. Aller jusqu’à l’extrémité de mon destin, c’était tout ce que je souhaite. Parce que finalement, je n’avais subi que trois crises en bientôt seize ans, et même si je savais pertinemment qu’elles n’étaient pas périodiques et qu’elles pouvaient très bien se répéter dans un intervalle de temps court, je savais également qu’elles pouvaient se dissiper avec les années. Et finalement, mes légers trous de mémoire et lacunes n’étaient pas conséquents et n’avaient aucune autre conséquence sur mon cerveau. J’étais simplement un peu plus étourdie que la normale, voilà tout.

Je n’avais emporté avec moi qu’un vieux sac à dos, deux jeans, quelques hauts, et Pépé. Au bout d’une dizaine d’année, il était d’avantage semblable à un chiffon, qu’à une peluche. Mais enfin, c’était mon doudou, malgré mon âge je ne pouvais m’en séparer. Surtout pas ce jour là. Le portail, derrière moi, se referma dans un bruit sourd. Voilà, j’étais désormais seule au monde. Enfin c’était un grand mot. Milward ne serait plus là pour m’aider. Je me remémorais difficilement ces derniers conseils. Use et abuse des sourires. Pleure, rie, ressens le plus infime des sentiments tant que ton cœur te le permet. Mais surtout Lottie, habitue-toi à tout ce qui décourage. Je pouvais encore entendre sa voix. Et je savais que c’était surement la dernière chose dont je me rappellerais, à l’avenir. Enfin, normalement.

Je parcourus la cour de béton, le plus lentement possible. Mes yeux se mirent à divaguer entre les différents bâtiments. Alors que je marchais en direction du hall, je fus perdue dans ma contemplation. Le lieu était plus qu’admirable, il était magique. Et ce n’était pas qu’une métaphore. La bâtisse principale, la plus imposante, se dressait devant moi de toute sa hauteur. Je retenais mon souffle ; ici je n’étais rien. Juste une fourmi parmi tant d’autres. Face à moi, les élèves s’entremêlaient dans la cohue générale. Je m’aventurai parmi eux dans l’immense hall. Les faisceaux de lumière qui traversaient les spacieuses ouvertures du mur, baignaient la pièce de clarté. Le lieu était tout autant impressionnant que sublime. De nombreux jeunes se croisaient ; certains d’entre eux restaient à bavarder sur place, d’autres se saluaient, échangeaient quelques banalités avant de repartir dans une autre direction. Et moi, j’étais véritablement perdue.

Elle trouvait que Lottie était un joli prénom. Ca l’était peut-être. Pour n’importe qui cela aurait été peu ; pour moi c’était beaucoup. Je me demandais juste depuis quand cela me touchait. En tout cas, quelque chose en moi s’était dénouée en présence de Melody. Je me sentais mieux. Plus tranquille, certainement. J’espérais simplement que cette sensation dure le plus longtemps possible. Mais je savais qu’il suffisait que je plonge à nouveau mon regard par-dessus l’épaule de la jeune femme, pour que l’angoisse reprenne le dessus.

- Pépé ? C’est marrant comme nom !
Mais dis moi c’est un ours ou je me plante complètement ? On dirait que ça fait super longtemps que tu l’as.

Cela faisait presque dix ans maintenant. Je l’avais récupéré après le départ de mon voisin de chambre, à l’hospice. Je m’entendais bien avec lui, je crois. Il était toujours fourré avec sa peluche dans la main. Il me semblait que c’était lui qui l’avait appelé ainsi. Je ne sais plus trop. Comment il s’appelait déjà ? En tout cas, tout ce dont je me rappelle, c’est qu’un jour il est parti. Son père est venu chercher ses affaires. Et il m’a donné Pépé. Moi, je n’en voulais pas ; le garçon n’aurait pas voulu s’en séparer. Il m’a juste répondu qu’il n’en aurait plus besoin. Et il l’a laissé. Un sourire traversa discrètement mes lèvres. J’étais un peu perdue dans mes pensées. Cela faisait longtemps que je n’avais pas pensé à lui, en réalité. J’observais subitement la peluche, puis me mis à rire. « Ca fait pas mal de temps oui ! » C’est vrai, qu’elle n’était plus très jolie maintenant.

- C’est un lapin, en fait. Mais les oreilles en ont pâti depuis le temps !

- Si tu veux je te montrerais les miens quand tu seras installée dans ton dortoir. J’en ai tout plein, tout plein ! Ça rend ma meilleure amie dingue, comme je partage ma chambre avec elle… et ma tante qui travaille ici aussi. Elle dit que je suis trop vieille pour tous ces nounours mais bon je ne suis pas vraiment d’accord tu vois.

Cela me faisait vraiment plaisir, en fait. Evidemment, j’aurais été heureuse de rencontrer ses peluches. Peut-être un jour. Je les considérer comme de petites personnes. J’imaginais qu’elles avaient une âme, qu’elles étaient un peu comme le reflet de la notre et qu’il y avait une part de vivant en chacune d’entre elles. Parce qu’elles vivent ce que nous vivons et nous connaissent mieux que personne. Ce que nous sommes en secret.
Melody devait être à l’EMA depuis vraiment longtemps. En tout cas, c’était l’impression qu’elle donnait. Elle était très à l’aise. Un peu comme si c’était sa maison, en fait. Et c’était en quelques sortes le cas. Sa meilleure amie partageait le même dortoir qu’elle, et sa tante travaillait ici. J’espérais pouvoir, un jour, être aussi bien intégrée qu’elle semblait l’être. Elle était vraiment, vraiment, gentille tout de même. Je lui adressai un sourire sincère. Puis, elle m’expliqua qu’elle commençait les cours la semaine suivante et que seul les premières années avaient déjà débuté.

- En fait je cherchais un ami à moi qui se fait un peu fantomatique cette semaine. C’est un peu embêtant de toujours passer son temps à le chercher… mais bon il finira bien par réapparaitre un jour.
De toute façon ce n’était pas très important.

Je rigolais. Elle semblait avoir de drôles d’amis. Cela m’amusait. Je commençais à me détendre, à dire vrai. En tout cas, je remerciais du fond du cœur cette personne étrange qui lui avait permis de croiser ma route. J’étais témoin d’un va-et-vient incessant d’élèves en tout genre. Et je voulais bien croire que les amis, cela se perdaient bien vite par ici. Au sens propre, néanmoins.

- Tu rentres en quelle classe justement dis moi ? Parce que si tu étais en première classe tu serais justement déjà en cours donc je pense que tu es déjà un peu plus âgée en fait. Enfin si tu cherches quelque chose ou que tu ne sais pas trop où aller n’hésite pas à me demander, ça fait longtemps que je suis là moi.

Je rentrais en première classe ; du moins c’était ce qu’on m’avait dit. Melody proposait son aide. C’était sympa de sa part. En vérité, j’étais toujours autant perdue, et finalement je ne savais strictement pas où aller. Je n’avais aucune idée de ce par quoi je devais commencer, en arrivant au sein de l’établissement scolaire. C’était idiot, c’est vrai. Mais il n’était pas exclu que j’eusse était la seule dans cette situation. Milward m’avait juste aidé à savoir qui j’étais réellement. Ensuite, il m’avait fait accéder à EMA sans indications particulières. Peut-être que c’était ainsi pour la plus part des gens après tout. Et je pensais soudainement que le bon Dieu en personne m’avait envoyé la jeune femme, pour me venir en aide.

- C’est gentil. Je suis en première classe ! Je viens d’arriver, il y a quelques minute à peine … Je ne sais pas vraiment ce que je dois faire à dire vrai. Tu pourrais m’aider ? Je suis complètement perdue …

Alors là, j’avais vraiment du bol. Cela me faisait plaisir et j’étais heureuse, réellement. Je commençais à avoir mal aux jambes à forces de rester debout. Mais ça m’était égal, après tout. C’est comme même à ce moment là que je compris à quel point j’étais de petite taille. Melody était plus grande, certes, mais pas que par sa stature ; elle l’était aussi physiquement. Elle semblait plus réfléchie, plus mature également.

- Melody, tu es en quelle année toi ?
Au fait … Merci.

Spoiler:

Melody proposait son aide de façon tellement naturelle et de si bon cœur que ça en devenait presque déconcertant. Enfin, c’était plus qu’adéquat, c’était miraculeux. Parce que, cela aurait pu très mal se terminer, je le savais et je m’y attendais. Mais à ce moment précis, je songeais qu’elle était, peut-être, un ange gardien descendant directement du ciel, afin de me venir en aide. J’étais enchantée. Sincèrement.

- Je viens de Perth, c’est à l’autre bout de l’Australie. Mais c’est la première fois que je rentre dans une école comme l’EMA.

Enfin, c’était la première fois que je rentrais dans une école tout court. La première fois, depuis longtemps, que je voyais autre chose que la clinique et ses alentours, dont je connaissais chaque recoin. Paradoxalement, le monde extérieur m’était totalement inconnu. Mais il me semblait que voir autre chose que la maladie, qu’élargir mes horizons m’était favorable, puisque jusqu’à maintenant mon cerveau ne me jouait plus aucuns tours. Situation propice et inattendue.

- C’est une bonne idée. Je crois n’avoir aucune question, à vrai-dire … Ou trop peut-être. Je ne sais pas par quoi commencer, c’est vraiment nouveau pour moi tout ça … Et c’est assez chamboulant de … enfin, d’entrer dans une école dans ; dans - ce genre.

Tout en emboitant le pas à mon interlocutrice, je tentais de mettre de l’ordre dans ma tête. Je ne comprenais pas comment tout cela pouvait être plausible. La magie et tout le tralala, c’était bon pour les enfants. Et les adultes un peu trop rêveurs. Mais c’était pas tangible. C’était impossible théoriquement. Et pourtant, depuis l’arrivée de Milward, j’y croyais plus que tout et ne doutais plus une seconde que tout cela existait bel et bien. C’était le genre de révélations qui changeaient des vies. Irrévocablement.

- Est-ce qu’on peut voler ? Ou bien, devenir invisible ? Concrètement, est ce qu’on a vraiment des pouvoirs ? Je veux dire … C’est comme dans les films ou les comtes pour enfants ?

Des milliers de questions me brulaient les lèvres. Je resserrai un peu plus mon étreinte contre Pépé et réajusta les sangles de mon sac à dos. En réalité, tout cela n’était peut-être qu’un rêve. Peut-être que rien ne s’était vraiment passé, après tout. Et … peut-être qu’il n’y avait rien de plus réel.
C’était tout ce dont j’espérai.

J’étais véritablement intéressée par ce que me racontait Melody et toutes ses paroles devenaient à mes yeux des oracles.
Tout cela me semblait si fascinant … Evidemment, je n’avais pas passé les portes de l’établissement en étant complètement ignorante. Milward m‘avait enseigné certaine chose. Le principal néanmoins. Mais j’étais réellement inexpérimentée. Je n’avais encore aucune connaissance des lieux et je savais que tant que les cours n’auraient pas débutés, je n’aurais pas entièrement acquis tous les secrets de ce nouveau monde. Parce que oui c’était véritablement un nouveau monde pour moi.

-Voila et comme promis je t’emmène à l’administration. Tu pourras faire la connaissance de Niels, enfin monsieur Whittaker le secrétaire de direction. Il est super gentil tu verras, il est particulièrement apprécié des élèves. Et après on ira t’installer dans ton dortoir.
- Un dortoir. C'est-à-dire partager une chambre avec d’autres personnes ?

Elle me disait de ne pas m’inquiéter, que je me ferais des amis, que tout se passerait bien et que je m’y ferais vite. Je l’espérais. En tout cas, à ce moment précis j’étais chanceuse de l’avoir à mes côtés et je le savais. Soulagée de quitter ce lieu où proliféraient des élèves à foison, je continuais à suivre Melody alors que nous gravions un imposant escalier. Je devinais l’aboutissement d’un large couloir où se succédaient des rangés et des rangés de portes. C’est vrai qu’un nouvel apprenti inexpérimenté pouvait s’y perdre sans grand mal.

- C’est bizarre, alors. Parce que là, j’ai vraiment - vraiment - pas l’impression que j’arrivais un jour à m’y retrouver. Je rigolais, c’est peine perdue je crois ! Et puis il y a tellement d’étudiants … Je sais même pas s’y je te retrouverais. Parce que si ça se passe pas comme ça, si j’ai pas d’amis, je pourrais revenir te voir ? Je commençais à laisser la peur reprendre le dessus sur moi-même.

Mais petit à petit gagnée par l’excitation, je poursuivais mon interrogatoire. Au fond ma petite tête, une question me taraudait l’esprit. Je sentais mes mirettes briller de curiosité.

- Est-ce qu’on à réellement des vies antérieures ?

Parce que j’avais beau y croire, je ne comprenais pas comment c’était possible. Certaine chose dérivait dans mon esprit, comme une impression de déjà-vu ou quelque chose qui s’y approchait, mais ça ne durait jamais très longtemps et cela restait rare. Cependant, Milward m’avait expliqué qu’avec de l’expérience et beaucoup de travaille, les élèves aboutissaient à une certaine connaissance d’une vie passée. Et je me demandais si Melody … enfin si elle se souvenait de … Enfin, bref. Ce n’était certaine pas une chose à aborder de cette manière de toute façon.