Le grand jour était enfin arrivé, le premier niveau avait fait sa rentrée hier après-midi et aujourd’hui, Amalia donnait son premier cours de potions de l’année. Comme chaque année, elle était un peu stressée. Cela faisait pourtant sept ans qu’elle enseignait. Mais la rentrée apportait toujours de nouveaux visages et des tonnes de prénoms à retenir, ce qui n’était pas franchement son fort. Elle mettait plusieurs mois à associer les noms et les têtes de ses nouveaux élèves.

Mais cette année, c’était un peu particulier. Monsieur Edgard avait demandé aux professeurs d’assumer également les deuxième et troisième niveaux. En effet, leur rentrée n’avait lieu que la semaine suivante mais certains d’entre eux étaient déjà là à hanter les couloirs de l’école. Et ils mettaient le souk. Impossible de se concentrer sur les leçons alors qu’on les entendait brailler à dix kilomètres à la ronde. D’habitude, ils étaient libres de profiter de leurs derniers jours de vacances. Mais cette fois, c’était un tel cirque qu’ils avaient été divisés en groupes. Certains seraient en étude avec la nouvelle surveillante quand d’autres assisteraient aux cours donnés au premier niveau.

Et comme si cela ne suffisait pas à perturber les nouveaux, les manuels n’avaient pas été livrés à temps ! Seuls quelques exemplaires traînaient à la bibliothèque en cas de perte, mais cela ne suffisait pas pour tous les élèves. L’année commençait plutôt mal… Mais malgré tout, Amalia était contente de retrouver sa salle de classe pleine de petits élèves. Elle s’était levée de bonne heure et incroyablement gaie, alors qu’elle avait passé une bonne partie de la soirée de la veille à préparer son cours. C’était un peu bête puisque le programme ne changeait que très rarement, et qu’elle conservait toutes ses leçons dans des gros classeurs. Bien, elle traversait le hall et jeta un œil à la grosse horloge qui affichait 14h01. Diantre ! Elle avait trop bavardé avec ses collègues et était en retard. Elle dévala les escaliers pour accéder aux sous-sols, prit à droite, ensuite à gauche et se faufila dans la salle.

« Bonjouuuuur ! »

Elle prit place derrière son bureau, y posa son cartable et observa attentivement ses élèves pour y repérer les nouveaux visages. Immédiatement, son regard se figea sur un spectacle qui ne lui était pourtant pas inconnu.

« VOUS ! On est en manque de chaises ? » beugla-t-elle en pointant furieusement du doigt un sixième année tranquillement vautré sur une table. Il s’excusa et s’installa correctement. Bien, voilà qui était parfait. Elle inspirait toujours le respect.
Elle commença par déballer tranquillement ses affaires en faisant un grand sourire. Puis elle recula et inspecta ses tableaux accrochés au mur. C’était un petit rituel qu’elle exécutait chaque matin, les remettre en place. Elle en repéra un, fit une moue étrange, s’approcha, se mit sur la pointe des pieds et poussa un cadre pour le remettre droit. Enfin … en réalité c’était pire qu’avant. Amalia n’était pas vraiment douée, la quasi-totalité de ses peintures étaient complètement de travers. Mais personne n’osait lui faire la remarque…

« Tout le monde est là ? »

Vu l’absence de réaction des élèves, elle en conclut que oui. Comme si un absent pouvait lui répondre « non, moi je ne suis pas là ». Elle souleva son index, le dirigea vers la porte et fit un petit mouvement qui se voulait gracieux, la porte claqua. Bon, ce n’était pas vraiment l’effet désiré, elle voulait la refermer en douceur, raté. Amalia faisait ça chaque année pour impressionner les première année. Ils avaient tous cet air de « woooow, c’est magiiiique ! » et c’était drôle. Mais forcément, une porte qui claque, c’est moins impressionnant.

« Bon ! Nous allons commencer en douceur par … la potion de protection ! Je rappelle aux anciens élèves qu’ils sont censés savoir de quoi il s’agit. Si vous avez bien suivi ces dernières années, vous ne devriez pas avoir de questions à me poser. Dans le cas contraire, c’est qu’il y a un problème et je vous invite à replonger vos nez dans un manuel de première classe. Hmhm … Aujourd’hui nous verrons la forme la plus simple qui soit, sans pour autant être la moins efficace. »

Elle se dirigea vers le côté de la salle de classe et ouvrit un placard. « Vous pouvez vous munir d’une fiole par personne. Je vais chercher tout ce qu’il nous faut dans la réserve et je reviens. » Aussitôt dit, aussitôt fait, Amalia disparut de la pièce en passant par la petite porte située juste derrière son bureau.

Quelques minutes plus tard, elle était de retour les bras chargés de récipients contenant divers ingrédients. Elle déposa le tout sur la table : poudre d’améthyste, romarin, laurier, calamus, aneth et fenouil. Elle les disposa de sorte que chaque récipient et ce qu’il contient soit visible aux élèves.

« Nous y voilà. Chacun de ces ingrédients a une propriété de protection, c’est tout ce que vous avez à savoir pour l’instant. Quelqu’un a-t-il une idée de ce que nous devons en faire ? »

Spoiler:

« AH NON ! »
« Mademoiselle Favrinn, vous n’avez pas le choix. »

Le surveillant avait la main tendu, un petit papier pendant lamentablement au bout, sur lequel on pouvait lire que les élèves de deuxième et troisième niveaux étaient conviés au cours de potion des premières années. Forcément, Avanna n’aurait pas pu tomber dans l’autre groupe, nah ? Ben non, sinon, ça n’aurait pas été si drôle.. Elle était obligée d’aller assister à un cours du professeur Whistler. Elle aurait pu tomber sur n’importe quelle prof.. Hé bah non ! Et toc, et si tu n’es pas contente, c’est la même chose ! Bref. Avanna refusait donc catégoriquement de prendre le papier que lui tendait le pauvre homme, affichant une moue boudeuse. Elle alla même jusqu’à croiser ses bras sur sa poitrine et à hurler un « NOOOOON » suraiguë à en réveiller les morts. Non, il était absolument hors de question qu’elle aille à un quelconque cours alors qu’elle était en vacances. VACANCES ! La rentrée officielle des deuxièmes niveaux n’était prévue que dans une semaine, ils n’allaient pas lui casser les bonbons à la forcer pour qu’elle aille à ce fichu cours. En plus, elle savait très bien que ça n’allait être que de la révision.. Mais quel intérêt..

« Mademoiselle Favrinn, prenez ce papier et sans faire d’histoires ! »
« Sinon quoi ? J’ai dit non. Nein, Niet, No ! »
« Sinon, c’est une heure de colle, directement. Et un avertissement. Ça suffit maintenant. Personne n’a le choix, alors ne commencez pas à faire votre petite gamine effrontée ! »

Elle soupira longuement, puis arracha littéralement le papier des mains du type. Elle regarda quelques secondes ce qu’il y avait de noté dessus, leva les yeux au ciel. Genre que les deuxièmes et troisièmes niveaux foutaient le bordel. Mais genre ! C’est vrai quoi, ce n’était pas comme si elle avait chanter à tue-tête une chanson paillarde dans les couloirs la veille, voyons ! Elle soupira à nouveau, puis tourna les talons, sans un mot. Non, mais n’importe quoi. Bon. Donc, si elle avait bien comprit, elle avait la matinée de libre, ainsi que l’heure du déjeuner, puisque le cours ne commençait qu’à 14 heures. Soit. Elle allait donc profiter. Il n’était que 11 heures, après tout, lorsque le surveillant l’avait littéralement coursée pour lui donner la notification. Oui, oui, elle s’était amusée à le faire courir, comme ça, juste pour le plaisir ! C’était Avanna. Le règlement ? Nah, connait pas. Enfin, c’était surtout qu’elle n’avait aucune envie de connaitre. Bref ! Elle prit donc la direction de la cour, sortit, s’alluma une cigarette et s’allongea dans l’herbe. Où elle s’endormit lamentablement.. Pour ne se réveiller qu’à cause de la sonnerie indiquant le début du cauchemar.

Elle se redressa avec difficulté, se frotta les yeux, sortit une nouvelle cigarette et l’alluma. Quoi ? C’était devenu son petit rituel que d’arriver quelques minutes en retard à son premier cours de l’année. Elle faisait ça depuis sa toute première année à l’EMA.. Ça n’allait donc pas changer, après tout. D’autant plus que ce n’était pas vraiment un cours. C’était.. C’était.. Juste un moyen de canaliser les anciens. Conneries. Elle se leva avec toute la lenteur du monde avant de se rendre compte qu’elle n’avait aucune affaire de cours.. Oups. Deux options s’ouvraient donc à elle. Arriver franchement en retard et venir avec des affaires, ou arriver presque à l’heure mais les mains dans les poches ? Quel cruel dilemme.. Enfin, cruel, cruel.. La flemme décida pour elle. Elle viendrait en cours en touriste. De toute façon, elle était en vacances. Et elle y tenait, à ça.. Elle fuma lentement, écrasa sa cigarette pour venir mettre le mégot dans un petit cendrier de poche et, en toute légèreté, commença à sautiller vers son lieu de torture préféré.

A peine fut-elle entrée dans le bâtiment que l’ombre menaçante d’Amalia passa non loin d’elle. Oh ben, mince alors, si même la prof était en retard ! Par pur instinct de protection, Avanna se cacha, attendait que la voie soit libre.. Puis, elle alla vers les sous-sols, resta un peu à la porte pour écouter ce qui se passait dans la salle et, lorsqu’elle fut sûre et certaine que le professeur s’était éclipsée pour aller chercher des ingrédients dans la réserve, elle ouvrit la porte, se faufila entre les rangées d’élèves qui la regardèrent bizarrement et alla s’installer à côté d’une fille à l’air franchement coincée.. Quelques secondes plus tard, l’extravagante Amalia Whistler refit son entrée dans la salle.

« Nous y voilà. Chacun de ces ingrédients a une propriété de protection, c’est tout ce que vous avez à savoir pour l’instant. Quelqu’un a-t-il une idée de ce que nous devons en faire ? »

Non, Avanna, lutte contre cette envie de te faire remarquer.. Lutte, allez, lutte..

« Les manger ? Comme ça, on sera protégé de tout, et de l’intérieur en plus ! »

Quelques petits rires discrets se firent entendre parmi les premières années, mais Avanna essaya de se faire toute petite. Ça avait été plus fort qu’elle. Beaucoup, beaucoup plus fort qu’elle.. Et, en prime, elle ne se rappelait même plus comment faire une potion de protection.. Si c’était bien ça le thème du cours..

Quand Amalia revint dans la salle et s’adressa à l’ensemble de la classe, elle regarda ses élèves et quelque chose lui parut louche. Avanna était-elle là il y a cinq minutes ? La professeure se frotta les yeux, comme si elle venait de se réveiller. Décidément, la rentrée était quelque chose de vraiment fatiguant. Tout de même, rater la jeune fille et ses cheveux oranges … elle ne passait pourtant pas inaperçue. Amalia n’était pourtant pas folle ! Elle jurerait que la jeune fille s’était introduite discrètement dans la salle pendant son séjour à la réserve. Cependant, elle ne releva pas et se contenta de lui lancer un regard insistant, suivi d’un lever de sourcils. Mais la plus extravagante de ses élèves ne ratait aucune occasion de se faire remarquer. Manger les ingrédients mêmes d’une potion pour être protégé de l’intérieur, elle nous fera tout.

« Je crains qu’une pierre comme l’améthyste ne soit pas comestible, même sous forme de poudre. Mais peut-être devriez-vous manger vos anciens manuels de potions, pour tout savoir ... de l'intérieur en plus. »

Très souvent, les petites plaisanteries des élèves étaient très appréciées par Amalia, qui aimait rire avec eux. Une leçon morte où tous s’ennuyaient, ce n’était pas ce qu’elle souhaitait en devenant professeur. Au contraire, elle était pour un enseignement ludique. Les étudiants apprenaient et retenaient mieux quand ils s’amusaient. Mais la remarque d’Avanna n’avait rien d’une petite blague, c’était plutôt une façon de faire comprendre à quel point cela l’ennuyait d’être ici. Ca n’avait rien d’amusant et Amalia pouvait le comprendre vu la situation. Mais amuser la galerie n’allait pas la faire sortir de cette pièce. Quelques élèves de première année étouffèrent un petit rire, ainsi qu’une jeune fille qui était loin de lui être inconnue.

« Vous trouvez ça drôle, Lockhart ? Pour la peine, Favrinn et vous devenez mes assistantes personnelles et vous allez commencer par nous faire une démonstration de l’utilisation du mortier. Allons allons, mettez vous devant, à mon bureau, et faites. »

Melody Lockhart était la nièce d’Amalia, et ce n’était pas franchement un secret, même si ce n’était pas évident quand on évitait les potins de couloirs. Elle traitait la jeune fille comme n’importe lequel de ses élèves en cours, et la vouvoyait en classe alors qu’elle la tutoyait en dehors. Non elle n’était pas plus sévère avec elle, ni plus douce. Elle était juste, ou elle essayait du moins. Elle sortit le fenouil de son pot : racine et fleurs, en coupa une petite quantité de chaque et les posa dans un mortier qu’elle plaça au milieu de son bureau.

« Vous n’aurez besoin que d’une très petite quantité de tout cela. Essayez de ne pas en prendre trop, ce serait du gâchis ! Jeune homme, faites passer. »

Elle tendit le récipient qui contenait le fenouil à un élève et se retourna vers son bureau. Elle arqua un sourcil interrogateur. « Et bien, c’est pour aujourd’hui ou pour demain ? » Quand elles eurent terminé, Amalia ne put s’empêcher de ricaner de manière un peu diabolique. « Ca sent fort, hein ? » En effet, on a toujours les mains qui empestent la plante après l’avoir manipulée, même brièvement. Elles devraient le savoir puisqu’elles étaient censées connaître la potion et savoir la préparer. Elle tapota sur les couvercles de chaque récipient sur le bureau.

« Mademoiselle Favrinn, vous allez écraser deux feuilles de laurier, l’une après l’autre bien sûr. Pendant ce temps mademoiselle Lockhart, pourriez-vous aller chercher une bouteille d’eau minérale dans la réserve ? » dit-elle en s’adressant exclusivement à ses deux assistantes. Puis elle se tourna vers la classe et fit un tour de la salle pour voir comment les nouveaux et les anciens élèves se débrouillaient. Bien sûr, elle fut forcée de lancer quelques regards agacés à quelques têtes bien connues qui utilisaient leur mortier aussi bien que le ferait un manche à balai.

« N’oubliez pas que le fenouil, les fleurs comme les racines, doit être parfaitement écrasé. N’hésitez pas à tapoter en mouvements circulaires, comme ceci. » Elle mima le geste. « Vous ne devriez avoir plus que quelques miettes une fois l’opération terminée, sinon il faut continuer. »